Folles abîmes [PV Miguel et Amna]

Les têtes de deux hommes furent tranchées ce matin là. Mais une troisième heurta le sol.

Amna, choquée, pétrifiée même, ne put supporter cet échec. Ce n’était pas tant la mort d’Eluan qui lui souleva le cœur avec tant de violence, mais cette foule assoiffée de sang, dont la haine et la cruauté venaient d’ôter à la jeune femme le peu d’espoir qu’elle avaient placé en l’homme, et qui avait survécu tout au long de ses pérégrinations, malgré toutes les tristes aventures qu’elle avait pu vivre.

Lorsqu’elle vit le regard sans vie du criminel rouler sur l’estrade, elle eut un haut le cœur d’une telle violence que, pliée en deux, les hurlements de la foule lui perçaient les tympans comme les cris stridents de mille vautours en furie. Durant de longues secondes qui lui parurent une éternité, elle resta là, comme en équilibre au bord d’un gouffre. Une douleur lancinante lui traversait le ventre.

Elle perdit connaissance et heurta violemment le sol.

Quelques gardes consciencieux la firent évacuer avant de passer à la seconde exécution. Ca faisait désordre. Elle fut transportée sans ménagement à l’hospice le plus proche où des sœurs prirent le relai. Elles l’installèrent dans un lit aux draps propres et frais, à côté d’une fenêtre ouverte. Sur la table de chevet, elles laissèrent un verre d’eau, et sur le front d’Amna, un linge humide.

Mais elles quittèrent rapidement la pièce, appelées par d’autres patients, infirmes pour la plupart. Après tout, quelqu’un veillait déjà sur cette maigre jeune femme. Un étranger qu’Amna avait déjà croisé…

Le temps se coupait en deux en ce lieu sombre, mes cheveux flottaient lentement sous la douce brise pendant que, d'un geste, le sang avait coulé, autour de moi le silence mortel de l'étonnement avait laissé place à la joie, l'euphorie, les dents assoiffés et insatisfaites des charognes claquetaient dans le vide comme pour mordre au loin le coup de leur proie, cible générale. C'est dans ce genre de moment que l'identité est forte, et ainsi si la leur en est fière la mienne me rappel sur le champ que je ne suis pas un humain, que je ne suis pas un des leurs, eux qui font la guerre pour s'étendre, n'ayant crainte de creuser un chemin rapide vers l'enfer. Je me tournais déjà, et allais de ce pas m'en aller, où ? Vers nul part, seulement loin d'ici...

Mon regard longea avec horreur, une dernière fois les têtes des rapaces, avant de me retourner, doucement. Mais soudain, mes yeux fixèrent à nouveau la foule, une tête avait retenue mon attention, évanouie, embarqué. Je décidais de la suivre, doucement alors que deux gardes rapprochaient le corps inconscient de l'hospice le plus proche, mon esprit recomposait les pièces de puzzle qui me séparaient du souvenir du visage de cette jolie jeune femme. Et ainsi, je me souvins: Amna, courage et brave, rencontré à la pointe du soleil, elle avait donc assisté à cette scène d'épouvante, je pressais le pas.

J'arrivais alors juste à temps pour voir quelques soeurs s'occuper d'elle, gardant mes distances j'observais la scène depuis l'entrée de la salle, quand, elle fini par reprendre conscience, je m'approchais à nouveau, cette fois au plus proche de son visage. Mes yeux cherchant refuges dans les siens qui étaient clos...

Quand elle se réveilla, gêné, je ne sus quoi dire, et d'un petit sourie du coin de la lèvre je lâchais un "salut" chaleureux.

Perdre connaissance, c’était mieux que le sommeil, car au moins, elle ne rêvait pas. Amna était dans un noir total, paisiblement vide, la paix intérieure. Comme si elle s’était débranchée elle-même pour se préserver, comme si la scène à laquelle elle venait d’assister avait grillé sa conscience. Le soleil d’hiver passait sa main par la fenêtre pour éclairer le visage détendu d’une Amna qui paraissait sereine. Blanche Neige des temps anciens. Mais ce n’était que temporaire, hélas…

Elle revint peu à peu à elle, remuant faiblement, lorsqu’une image traversa son esprit comme la foudre. Une image qu’elle n’aurait jamais voulu revoir. Elle ouvrit les yeux brusquement. Un regard horrifié, celui de la proie qui se sait bientôt dan la gueule de son chasseur. Et elle se retrouva nez à nez avec l’or des yeux d’un étranger qu’elle ne reconnaissait pas.

- Salut.

Amna eut un vif mouvement de recul. Dans le désordre de ses mouvements précipités elle sauta hors du lit et attrapa sa dague sur la table de chevet avant de la pointer vers l’étranger. Elle semblait dans un état si instable qu’elle en devenait menaçante. Et son regard d’émeraude était plus dévasté et dévastateur que jamais.

- Qui êtes… Miguel ?!

Amna était dans un état d’hésitation extrême. Perdue. Miguel, elle le reconnaissait à présent, était sans doute la dernière personne sympathique qu’elle avait croisée. Elle se souvint de leur rencontre à la Pointe du Soleil. Il avait une joie de vivre et une force d’âme rares. A cette époque, qui ne remontait qu’à quelques semaines, elle l’enviait. Mais qu’en était-il à présent ? Devait-elle le considérer comme un inconscient, naïf personnage, qui croit encore qu’il peut y avoir un peu de bon dans ce monde ? Ou avait-il raison ?

Il ôta la dague de la main mal assurée d’une Amna au regard fixé dans le vide. Il la prit dans ses bras.

- Viens par ici Amna, n'ai crainte, tu es en sécurité avec moi.... Aujourd'hui est-une belle journée pour profiter d'un doux repos, clos en ces lieux, en toute sécurité...

La jeune femme se laissa faire, immobile et silencieuse. Elle se sentit minuscule, si maigre dans les bras protecteurs du demi-elfe. L’ancienne Amna aurait probablement fondu en larmes, et aurait cherché dans cette étreinte un peu d’espoir et de force. La nouvelle était étrangement froide et placide. Il en faudrait plus pour réchauffer son cœur blessé. Toutes ses valeurs, tout ce en quoi elle croyait, avait été mis à mal alors même qu’elle était dans un état de vulnérabilité extrême. Elle ne savait plus qui elle était. Elle se moquait de la sécurité dont parlait Miguel, elle se moquait de la douceur, et du beau temps, elle était comme étrangère à ce monde.

- Alors tu dois avoir plein d'aventures à me raconter ?

Amna leva les yeux vers le visage de Miguel et recula d’un pas, se dégageant doucement de son étreinte.

- Ne m’infantilise pas, Miguel.

Son corps, état si froid, sa peau si fraîche elle était comme pétrifié, sa blessure était profonde elle avait subit une déchirure intérieur si forte, que si je voulais l'aider, il allait falloir que j'use de toute ma force. Je laissais ainsi partir une bouffée de fumé alors que mon regard s'étendait au loin, il m'arrivait souvent ainsi, de revoir plaines et montagnes, douces rivières translucides, fleurs aimantes, en regardant tout simplement par delà mes pensées, par delà mes rêves.

A nouveau, mes yeux revinrent se poser sur la jeune femme, qu'elle était jolie, qu'elle était fragile. Je laissais le silence s'instaurer dans la salle, respirant doucement l'odeur de mon herbe de Razan.

- La vie n'est pas toujours belle et heureuse Amna, mais parfois il suffit d'y croire...

Je la regardais avec douceur fumant ma pipe d'un air à mi amicale, à mi sérieux et de plus en plus impénétrable.

- La réalité reflète toujours nos peurs, et sache que quoiqu'il arrive, l'homme est mauvais, telle est sa nature.

Je m'approchais alors un peu plus d'elle. Jusqu'à venir lentement entre chaque silence revenir tout prêt d'elle, et ma pauser ma main pour lui caresser doucement sa joue.

- Ouvres-toi à moi, ne te refermes pas sur toi même !

Mes yeux, alors se plongeaient dans le regard émeraude de la jeune femme, et ne comptaient pas en sortir avant d'y avoir mis quelque gouttes de douceur.

- La vie n'est pas toujours belle et heureuse Amna, mais parfois il suffit d'y croire...

Il suffit d’y croire. Peut-être. Mais croire, n’est-ce pas se fourvoyer ? Croire, c’est être crédule. Croire c’est se tromper, c’est faire de sa vie entière une farce. Et quand bien même Amna décidait d’y croire, il n’y avait rien de plus difficile. Elle avait toujours cru en l’homme, en la vie, en la bonté. Tout cela pour quoi ? Pour mieux souffrir de perdre cet espoir si durement défendu pendant toutes ces années.

- La réalité reflète toujours nos peurs, et sache que quoiqu'il arrive, l'homme est mauvais, telle est sa nature.

A ces paroles. Amna sentit son cœur se soulever. Elle fut prise de nausée. La jeune femme resta immobile mais moue de dégoût trahit son ressenti. L’ancienne Amna n’était peut-être pas si loin.

- Ouvres-toi à moi, ne te refermes pas sur toi même !

Miguel s’était à nouveau rapproché d’elle. Il planta son regard d’or dans les yeux d’émeraude d’Amna. Ou peut-être était-ce l’inverse. Ce duel silencieux dura de longues secondes d’immobilité avant qu’Amna saisisse fermement le poignet de Miguel, sa deuxième main vint sceller la main du demi-elfe sur la dague qu’il tenait déjà. Elle se rapprocha, la lame frôlant son propre ventre. Et d’une voix écœurée et cruelle :

- Si l’homme est mauvais, alors je suis mauvaise. Vas-y, Miguel, tue la vermine qui est en moi !

A présent la lame exerçait une faible pression sur l’abdomen de la jeune femme au désespoir. Et l’insensible Amna au cœur de glace commença doucement à fondre. Sa voix trembla, ses yeux s’embuèrent.

- Qu’attends-tu ? VAS Y !

La tension monta tout d'un coup, alors que je m'approchais d'elle, elle se mit à saisir la dague, ma main dessus pour se l'attirer vers elle. Elle me demandait de la poignarder, de lui enfoncer profondément l'arme dans son abdomen. Je ne savais que dire, et tirant encore sur ma pipe, mon regard partit au loin... Plaines et rivages furent à ma rencontre, mais cette fois, plus rien n'était comme avant, mes pensées étaient comme troublés, maintenus par un ensemble de vibrations qui les obstruaient.

Cette fois, me réfugier dans mes rêves n'allait m'aider en rien... Mes yeux s'ouvraient, alors que je voyais déjà Amna craqué en pleur, ma tête s'approchait d'elle, ma main libre vint caresser celle de la jeune femme qui me retenait. Puis ma bouche vint déposer un doux baiser tout prêt de sa lèvre. Enfin, je restais ainsi, laissant le silence apaisé nos âme... Avant de lâcher...

- Ne pleures pas Amna, tout ce monde n'est que guerre et sang, non je ne veux pas te tuer, je veux être ton bouclier, le fer qui se chargera pour toi de prendre les coups, je ne veux pas ta mort, toi qui n'est pas comme les autre Homme, toi qui sait ressentir de la peine...

Cette dernière phrase s’effaçait en moi, résonnait lentement, avais-je déjà ressenti la moindre tristesse ? Tout ceux qui étaient mort sous mes yeux, toutes les familles que j'avais détruite lorsque pour ma défense j'avais dus tuer, la vie n'est qu'un terrain de jeu, l'homme un être trop gâté, je ne suis pas un homme...

Ma tête posé contre l'épaule de la jeune femme, laissait alors doucement échapper la douceur d'une tristesse qui en une larme espérais du lendemain que le sang ne puisse plus couler.... "Que l'eau trouble soit enfin douce", dans le néant, je m’effaçais et lentement m'éloignais d'elle, la dague à la main, pour la jeter au loin... ma pipe était éteinte.

Amna finit par baisser sa garde et lâcher toute la pression, d’un seul coup, elle ouvrit les vannes. Les larmes, abondantes, roulèrent sur ses joues pâles, inondèrent son frêle cou dans le silence le plus total, comme si ses yeux débordaient seulement, sans qu’elle les fermât, sans sanglots. Elle lâcha doucement les mains de Miguel, libérant ses articulations blanchie par la pression. Elle prit une lente respiration tremblante. Il l’embrassa. Le cœur de la jeune femme se serra et elle se blottit dans ses bras protecteurs, comme une enfant cherchant la paix dans les bras de son père après un terrible cauchemar. Mais Amna n’avait jamais eu de père.

- Ne pleures pas Amna, tout ce monde n'est que guerre et sang, non je ne veux pas te tuer, je veux être ton bouclier, le fer qui se chargera pour toi de prendre les coups, je ne veux pas ta mort, toi qui n'est pas comme les autres Hommes, toi qui sait ressentir de la peine...

Vulnérable. Voilà des années qu’elle ne l’avait pas été. Etrangement, cette fois ci, elle ne s’en voulait pas d’avoir plié, d’avoir faibli. L’ancienne Amna était de retour. Vulnérable. C’était peut-être le secret des héros de savoir le rester.

Elle sentit la tête de Miguel se poser sur son épaule. Sans doute l’avait elle touché. Puis il s’écarta et jeta la dague au loin.

Encore tremblante, Amna s’assit sur le lit en désordre, moitié sonnée par ce qu’il venait de se passer, moitié libérée par le flot de ses larmes qui se tarissait doucement. Elle tourna son visage strié de sel vers Miguel.

- Je suis… Je… Pourquoi ? Pourquoi tant de souffrance et... de cruauté ?

Elle voulait donner un sens à tout ça. Elle avait besoin « d’y croire » comme il disait. Elle devait retrouver l’espoir.

Amna n’avait pas le choix. Elle avait pris une route difficile, le sentier escarpé et semé d’embûches plutôt que la belle avenue descendante. C’était le chemin des fortes âmes, des âmes solitaires, et sans doute l’avait-elle sous-estimé. Mais elle avait trop avancé pour faire demi-tour, et si elle quittait le sentier, elle se perdrait sans nul doute. Alors il fallait continuer, avancer encore, se battre pour ses valeurs, et pour la vie, expier ses fautes.
Aujourd’hui sans doute, elle ne voyait pas à l’horizon le but ultime de sa vie et elle doutait même qu’il existât. Mais qu’elle y croit ou non, elle devrait rester sur cette route. Alors autant y croire et la vie aurait un sens, quoique rêvé.

- La route est encore longue… murmura-t-elle.

Elle ferma les yeux. Elle avait retrouvé le calme et la sérénité mais se sentait toujours vacillante. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, une lueur résolue y brillait. Peut-être celle de l’espoir ? En tous cas celle de la détermination. Elle se leva, ramassa sa dague et la rangea à sa ceinture.
Amna esquissa un geste vers la sortie et dans un mince sourire :

- Tu viens ?

La jeune femme avait brusquement réalisé que de nombreuses choses étaient encore à faire et ne pouvaient attendre. Elle devait récupérer ses effets personnels, et ceux d’Eluan. Elle voulait faire une dernière chose pour ce criminel sur qui elle avait misé son espoir dont le peuple Nendilien l’avait finalement privée.

La force, cette flamme vive et puissance, elle l'avait en elle, du moins elle l'avait retrouvé. En un rien de temps elle était debout, il était certain qu'elle avait compris, qu'elle savait désormais le chemin à prendre. Lentement, je décidais de la suivre... J'étais heureux que cette voie, à nouveau, était la sienne, et qu'elle ne soit pas tomber dans le piège de la peur, la tristesse. Pour traverser les épreuves, être prêt à surmonté les pires cauchemars, il faut avoir avec soit une base, un roc puissant et dure, incassable, en lequel on croit.

Je venais récompenser sa nouvelle bravoure d'un léger baiser sur sa joue, puis m'avançais vers la sortie attendant devant l'entrée qu'elle est ramassé ses affaires. Qu'allait-elle faire désormais, elle semblait avoir quelque chose à accomplir, et moi, je comptais la suivre, pour combien de temps ? Je n'en savais à vrai dire rien, mais de nouvelles aventures m'attendait en la compagnie de cette jeune femme.

A nouveau j'allumais ma pipe, cette fois, le tabac avait un goût solennel, et alors que je m'en imprégnais et le laissais entrer en moi; je prenais à mon tour le chemin de la détermination, le regard sûr de moi, il me fallait trouver un but à mes jours, combattre, m'engager, me sentir vivant !

Amna et Miguel sortirent. Dehors, le soleil radieux et le froid revigorant les attendaient, comme en signe de bienvenue dans cette nouvelle vie. C’était comme un nouveau départ pour Amna. Jamais elle ne s’était autorisé une telle faiblesse, surtout pas devant un inconnu. Jamais elle n’avait osé cracher la noirceur qui lui torturait le cœur au visage de qui que ce soit. Jamais avant aujourd’hui. Mais elle refusait de se sentir coupable. Elle voulait croire que c’était le début d’une longue amitié, la fin d’une trop lourde solitude. Il lui semblait sentir un sentiment similaire chez Miguel.

Ils retrouvèrent rapidement le cheval, sellé et portant les effets personnels d’Amna ainsi que ceux d’Eluan. C’était sans doute trop tôt pour la jeune femme, son cœur se serra et sa respiration se fit plus difficile lorsqu’elle se remémora la mise à mort du criminel. Mais elle voulait quitter cette ville au plus vite.

Elle prit le cheval par la bride et regagna la place centrale, la place de grève, vide et silencieuse. Elle se sentit faiblir à nouveau, ses jambes devenant coton. Elle était encore très pâle. Un garde passa.

- Pardonnez-moi, monsieur. Où… enterrez-vous les... condamnés à mort ?
- A l’entrée de la ville, chère madame, pour affirmer le pouvoir de la justice !

Alors ils sortirent de la ville. Effectivement, à l’entrée de Nendili, un homme était en train de porter un corps, enveloppé dans un linceul tâché de sang, jusqu’à une fosse commune. Un autre corps restait sur le bord. Le fossoyeur allait le jeter lui aussi.

- Attendez !

Il s’écarta. Amnaraëlle s’approcha, et, d’une main tremblante, retira la toile de jute qui recouvrait le corps du défunt. Elle reconnut immédiatement le visage froid d’Eluan. Ses yeux étaient grand ouverts. D’un geste doux elle ferma ses paupières froides. Elle n’osait même plus respirer.

- Merci… j’imagine. murmura-t-elle.

La jeune femme se releva avec une lenteur qui trahissait les efforts qu'elle faisait pour garder son calme. Elle prit le katana sur le dos du cheval d’Eluan. C’était une arme d’une grande valeur, elle le savait, et probablement ce à quoi l’homme tenait le plus dans ce monde. Elle glissa le manche de l’arme dans la main rigide du mort et recouvrit son corps froid.

Elle ne pouvait plus tenir, elle eut un haut le cœur, et mit sa main devant se bouche, comme pour s’empêcher de réagir. Elle se retourna brusquement vers Miguel, livide.

Et ainsi nous quittâmes le petit dortoir de cet hospis, je suivais ses pas, elle reprenait de l'assurance... mais avait encore une tâche conséquente sur sa conscience , un devoir à accomplir, et ainsi elle serait libre, au loin, au plus profond d'elle ses chaînes se briseraient, enfin.

L'ardeur d'un soleil puissant berçait la place, vide, ampli d'un néant absolu. Je la suivais, doucement à une petite distance d'elle, cette Amna avait compris, elle savait ce qu'elle devait faire, mais à ce travail je ne pouvais l'aider.

Ma vision se troublait alors que l'espace d'un instant mon regard rencontrait les puissants rayons de l'astre régnant avant de revenir doucement vers la jeune humaine, elle discutait avec un homme, avant de repartir à nouveau, déterminée.

Le chemin parut long avant de se retrouver enfin à l'entrée de la ville, chaque ruelle déserte et chaque pavé se répétant infiniment avant qu'enfin le décor ne puisse changer. Nous arrivâmes juste à temps, l'être qu'elle cherchait bordé dans un drap blanc souillé de son sang n'allait pas tarder à rejoindre les âmes troublés et perdus du châtiment désolé de la fosse commune.

Amna se précipita aussitôt et troublée, en un rien de temps rendit une décence maigre mais obligé au corps du défunt mercenaire. Je n'avais jamais entendu parler de cet être avant aujourd'hui, je n'étais pas du type de gars "au courant" de ce qu'il pouvait se passer dans les villes ou autre lieu de civilisation, et ainsi tel le pauvre être paumé que j'étais je restais un peu en retrait de cette triste scène alors que je fumais ma pipe, d'un air incompris.

Lorsqu'elle revint, Amna semblait avoir eut un choc, et me sentant désormais presque lié à ses peines, je la pris aussitôt dans mes bras, sa tête contre mon torse, mes mains la serrant avec douceur et force.

Je lui indiquais le chemin de sa monture, et après elle venait prendre place dans son dos, je n'avais point de cheval, et je ne pouvais me résoudre à continuer mon chemin à pieds, il me fallait moi aussi partir vite, et prendre un nouveau départ. J'entourais son torse de mes mains, et dans un baiser contre sa joue je vins lui dire "Partons au loin..."

A califourchon sur le cheval du criminel, Amnaraëlle avait été étonnée de voir Miguel la laisser tirer les rênes. Il devait être plus observateur que beaucoup pour avoir deviné si vite qu’elle savait monter à cheval, qu’elle montait comme un homme, et qu’elle pouvait mener. Observateur et très moderne dans sa façon d’agir. Les mâles ne cédaient pas souvent autant de terrain aux personnes du sexe faible à cette époque… En tous les cas, cela flatta Amna.

Ils avaient emporté de quoi manger pendant des jours. Ils ne reviendraient pas à Nendili.

D’un coup de talon, Amna fit partir le cheval. Il était robuste et bien dressé. Elle n’en avait pas douté. Eluan ne se serait pas contenté d’un poney têtu.
Amna attacha ses longs cheveux d’ébènes d’une main avant d’accélérer. Ils allaient grand train. Ils étaient deux être libres dans la pleine gelée, immense étendue blanche à perte de vue, éblouissante de soleil. La jeune femme aimait la sensation du vent glacé frappant ses maigres joues. Elle savourait ce moment de silence et de vide, la sensation de vitesse, de liberté. Comme si elle laissait derrière elle toutes ses craintes, tout ce qui l’empêchait de vivre.

Cette fois, elle avait décidé de suivre la côte. Il était absolument hors de question qu’elle retraversât Anmar dans l’autre sens. Ils longèrent dont le bord de mer. Sur leur droite, la neige, et la montagne, sur le gauche, la mer, glaciale mais paisible.

Jusqu’où iraient-ils ? Elle n’en avait aucune idée.

Après plusieurs heures, elle ralentit enfin la cadence, jusqu’à arriver au pas, et descendit. Elle voulait se dégourdir les jambes, et profiter de ce soleil régénérateur. Elle et Miguel n’avaient pas échangé un mot jusqu’alors. Leur monde intérieur riche d’Amna lui avait suffit, elle avait eut besoin de se ressourcer, de se retrouver, et le silence ne lui faisait pas peur.

[hrp : désolée pour le délai... j'était très prise ces derniers jours]

Amna marchait tranquillement, tenant toujours la bride du cheval. Ses joues étaient rougies par le froid, bien que le soleil les réchauffât, et cela la faisait se sentir vivante.

- Je crois que l'on sait si on est capable d'apprécier une personne si on est capable de ne pas dire mot sans en éprouver le moindre désir, profitant tout simplement du silence...

Elle sourit. Miguël avait peut-être raison. Quand les silences sont trop lourds, c’est qu’on n’est pas soi-même, que les mots veulent sortir et se bousculent derrière des lèvres qui restent scellées par la peur ou l’inconfort.
Le vrai silence est léger et agréable.

Ils marchèrent lentement pendant un moment. Le bruit du ressac apaisait Amnaraëlle. Elle semblait dans un état de sérénité peut-être un peu suspect si on repense à ce qu’elle venait de traverser. Le calme après la tempête… et avant la prochaine, sans doute. Mais autant en profiter.

- Quel souvenir as-tu de ton enfance ?

Cette question était sortie de nulle part. Elle avait franchi les lèvres de la jeune femme avec un naturel étonnant. Une simple question. Désormais, ils faisaient route ensemble. Elle ne voulait pas se méfier de Miguel, elle voulait lui faire confiance, pour une fois, elle espérait retrouver ainsi un peu de sa foi en l’humanité (ou la demi-humanité en l’occurrence). Et pour cela, il fallait qu’ils apprennent à se connaître.

[Pas de soucis, pour une fois que ce n'est pas moi xD]

Cette promenade, si agréable, prenait désormais un air d'apaisement, je sentais une fois de plus que l'un à l'autre nous étions liés, entre nous tout était livide, transparent; et c'est ainsi que pour la première fois de ma vie depuis le Trappeur, je me sentis en sécurité avec un autre être de chaire... Je sentais que je pouvais tout dire, tout comprendre, tout partager. Et ainsi lorsque vint le moment où elle pausa sa question...

- Mon enfance ? Demandais-je quelque peu surpris, d'un air presque dérangé par la question.

Mon regard croisa alors le sien, ces yeux rubis emplirent ma vue, et je me rappelais encore qu'avec elle j'étais en sécurité...

- Eh bien .... Je n'ai jamais parlé de cela à personne...

Je marquais une légère pause, les yeux vers le lointain, avant de revenir vers elle.

- Par où commencer... Je suis encore jeune, et j'ai temps de souvenir, Amna, j'ai le sentiment que je peu m'ouvrir à toi... Je suis issus d'un peuple guerrier, force, bravoure et gloire étaient mes valeurs, mon clan s'appelait, et s'appel toujours d'ailleurs, les Maarzacs...

Je marquais à nouveau un arrêt, ce que j'allais dévoiler après ça, transcendait le conventionnel de mes premiers mots.

- Malheureusement, ce peuple était aussi élitiste, et j'ai mainte fois cherché la fierté d'un père... Et alors une lumière de vie est arrivé, c'était le Trappeur, Col Wesson, vif, intelligent et courageux, il était admiré de tous alors que sa vie n'était pas la même, un trappeur est un chasseur, un aventurier... J'ai quitté mon village à 17 ans et j'ai réussi à me faire accepter par Col comme apprenti, pendant 5 ans j'ai parcourus maintes terres, je l'ai quitté il y a de cela quelques mois, il m'a laissé me disant que je devais connaître le monde seul pour être moi même un jour un Trappeur, mais j'ai découvert tant de choses, pendant toute ma vie j'ai été fermé de ce monde, de la vie réelle, je la découvre alors, et je ne sais plus où j'en suis, plus qui je suis, je erre...

Je me rendais compte que je venais de lui avoir fais le récit de ma vie, n'ayant que peu d'expérience sociales, je ne savais comment dire clairement les choses, je m'étais ouvert à elle tout simplement. En réalité, avais-je eus une enfance ? Il me semblait que si j'en avais eus une, je ne venais qu'à peine de la quitter, et de devenir enfin moi même. Mon regard revint vers les yeux rubis...

- Désolé je n'en ai dis que trop... Mais à ton tour j'aimerais que toi aussi tu me dises qui tu es... réellement ?

Amnaraëlle se rendait compte que ce n’était pas dans les habitudes de Miguel de parler de lui, comme ce n’était pas non plus dans les habitudes de la jeune femme. Ces gens qui restent secrets, souvent, sont moins exaspérants que ceux qui prennent toute la place, intérieurement plus riches, mais beaucoup trop complexes et seuls. S’ouvrir pour eux est une épreuve de force des plus difficiles, et pourtant nécessaire s’ils veulent un jour trouver la paix.

Amna et Miguel se connaissaient à peine. Elle ne savait vraiment comment répondre et surtout ce qu’elle allait être capable de révéler. D’autant que, trop déçue par les autres, elle avait appris à se méfier de tout le monde. Ne jamais rien dévoiler, c’était sans doute un moyen de se protéger aussi.

- Qui je suis ?... Je cherche encore.

Elle esquissa un sourire. Et devant le regard inquisiteur de Miguel, elle osa en dire plus. Après tout, il l’avait aidée et suivie. Il ne pouvait pas être complètement mauvais.

- Je n’ai jamais connu mon père. Ma mère était fille de joie... elle est décédée peu après m’avoir confiée à un couple bourgeois qui n’arrivait pas à avoir de descendance. J’ai appris beaucoup de choses avec eux. J’ai surtout appris que je ne correspondais pas à leurs attentes, ni à celles de la société. Certaines rares personnes pourtant semblaient m’apprécier telle que j’étais mais…

Elle détourna son regard d’émeraude et son visage s’assombrit. Non, elle n’y arriverait pas, pas encore.

- Mais j’ai dû partir.

Le silence reprit la place qu’on lui avait volée pour quelques secondes. Amna releva la tête.

- Et cela fait maintenant trois ans que je visite le monde.