Jour de marché

Adenora leva les yeux au ciel avec une moue désespérée. Le marchand lui répondit par le même visage obstiné qu’il affichait depuis près d’une bonne vingtaine de minutes. La jeune femme caressa du bout des doigts l’étoffe précieuse dont elle négociait le prix avec véhémence.
Derrière elle, les gens se bousculaient. Il était encore tôt et la cohue était pourtant étonnamment dense, phénomène qui s’expliquait par l’arrivage récent de marchandises en provenance de Sylphe. C’était plutôt rare, et les habitants de Nimmeï semblaient s’être tous rassemblé pour en profiter.

-Ca f’ra cent pièces d’or ! Pas moins !

-Mais enfin monsieur ! C’est hors de prix ! Même pour une étoffe d’Ellone !

Quelqu’un poussa la marionnettiste, dont les grands yeux ambres furent en conséquence attirés par une ombre au milieu de l’étal coloré. L’article, se démarquant des autres par sa texture et sa couleur sombre, fit naître un éclat dans le regard quelque peu agacé de la brune. Affichant un grand sourire au commerçant, qui croisait désormais les bras sur sa bedaine afin de montrer combien il était outré, l’asméenne proposa :

-Admettons que j’accepte de vous payer la somme que vous voulez, me donneriez vous un meilleur prix de ces gants ?

Les gants en question étaient faits d’un beau cuir à l’aspect souple et doux. Les contours dentelés et les arabesques qui recouvraient leur peau les rendaient originaux et mystérieux. Sans qu’elle ne sache exactement pourquoi, la jeune femme les trouvait magnifiques.

-Mais vous êtes folle ou quoi ? Ils en valent au moins le triple !

Adenora ne dit rien et s’éloigna avec la ferme intention d’obtenir ce qu’elle convoitait, d’une manière ou d’une autre, et sans y mettre un prix aussi exubérant que celui que réclamait son interlocuteur. Son stratagème fonctionna à merveille puisque le marchand l’attrapa par l’épaule et concéda enfin :

-On peut peut-être s’arranger. Restez là, je vais chercher mon frère.

La marionnettiste attendit qu’il ait le dos tourné, s’empara des deux objets et quitta les lieux, l’air naturel et arborant un sourire espiègle. La jeune femme n’avait pas l’habitude de faire ce genre de choses, pour preuve : c’était la première fois. En revanche, elle lisait régulièrement des récits d’aventures dans lesquels les héros avaient recourt à ce genre de méthodes. La brune avait d’ailleurs souvent songé à cela, se disant qu’elle ne le ferait jamais, trop apeurée par l’idée de se faire prendre. Pourtant, elle venait de voler deux marchandises d’une grande valeur, en s’en tirant le mieux du monde. C’en était presque risible.

*N’empêche, c’est pas très sympa pour le gars…En même temps, s’il m’avait écouté dès le début, il ne se serait pas fait avoir, le crétin !*

Adenora arriva bientôt au niveau des épices, et leurs parfums l’assaillir, lui procurant un sentiment de bien-être. Celle-ci s’étonnait toujours de la façon dont laquelle certaines choses anodines pouvaient l’énerver ou la rassurer. En soit, être mêlée à la foule de cette manière, après avoir dérobé des produits assez luxueux -risquant donc d’être emmenée par la milice- n’avait rien de rassurant.
Subitement, le poignet de la brune fut tordu dans son dos, lui arrachant un râle de douleur. Ne comprenant pas la raison de son supplice, cette-dernière se mit à vociférer :

-Lâchez moi, je n’ai rien fait bordel !

La pression se relâcha un peu, lui permettant de se dégager de l’étreinte désagréable de l’inconnu. L’asméenne se retourna pour faire face à deux gardes qui la dépassaient d’une tête. Voyant qu’elle tentait de s’enfuir, les soldats tinrent Adenora par le bras et la menacèrent :

-Ecoute gamine, on est pas stupides. Tu crois que personne ne t’as vu t’échapper après avoir volé l’écharpe tout à l’heure ?! Calme toi maintenant !

Un attroupement commença à se former autour du trio. La brune planta ses dents dans l’avant-bras du plus proche des deux hommes. Son compagnon asséna un violent coup dans le ventre de la femme. Bientôt, une symphonies d’exclamations tantôt outrées, tantôt admiratives voire même compatissantes, de sifflements et de claquement de langues s’éleva des spectateurs. Après quelques minutes, plusieurs manants vinrent se mêler à l’altercation qui se mua en une grande bagarre générale.

*Et voilà. Rien ne se passe jamais comme dans les livres.*

Courant à travers les champs empli de gens, un jeune et fort beau jeune homme cours avec la femme de sa vie entre ses bras. Une crinière d'argent, des yeux pénétrant et la truffe au vent, ce loup solitaire arpente les ruelles a la vitesse de l'éclair. Une haleine pouvant réveiller un mort, un habillement évoquant le navrant et une odeur putrescente ne manqueront pas de lui ajouter un charmant coté repoussant. Les bribes de rides, le sourire niais et généreux ainsi que son coté simple, sont des atouts simple qu'il garde à ses cotés quoiqu'il arrive.
Et oui, on est en face de... d'un truc, vraiment hors des normes et pas forcément du bon coté pour postuler chez les héros ! La femme de sa vie se résume a une barrique qu'il a volé sur un étalage afin de festoyer son dernier jour dans ce taudis avant de s'envoler vers une nouvelle vie. Presque a bout de souffle, cela fait plusieurs minutes qu'il a semer ses poursuivants mais demeure sur le coup du stress. Après tout, toute une enfance à avoir vécu de ce genre de chose endurci et aide à savoir quoi faire et quand le faire.

"Bon alors, tu vole et... tu cours dans le sens opposé jusqu'à en crever !" Avec de la chance, on s'en sort. Le seul hic est d'essayer de ne pas devenir un voleur notoire connu de tout le trottoir. Mais bon, il y a tellement de voleurs a Nimmeï, ramassé a la pelle dans les bars, qu'on se soucie peu de s'entacher de ce genre d'image. D'ailleurs, en parlant de ça, les attroupements de foule sont souvent le moyen de repérer les nouveaux venus dans le domaine, comme celui ci qui attire brièvement l'attention de Gabe. Hésitant quelques instants, ralentissant brusquement ses foulées éléphantesquement grotesque, il retourne sur quelques pas et regarde le spectacle.
Une pauvre jeune femme, agressée par 2 gardes ivres, est dans une salle situation et sur le point de passé le plus mauvais quart d'heure de sa vie. De leur coté, les passants s'acclament, s'exclament, en réclame et j'en passe. Aucun d'entre eux ne va porter assistance à la demoiselle en détresse qui à se faire charcuter les fesses par l'autorité de la ville portuaire ?! Quelle honte ! Mais pourquoi pas Reldin ?

Oh non, trop fatigué, peureux et en plus il a un précieux enfant dans les bras. En parlant de ça, il sert sa barrique contre sa poitrine telle une mère et son enfant gobelin... enfin non, sinon on l'aurait déjà écrasé. Il regarde la scène avec des yeux attristés. Non pas parce ce qui risque d'arriver à la pauvre donzelle mais plutôt à la femme de sa vie qu'il étreint une dernière fois...
Il bouscule un tumulte de spectateur pour entrer sur la scène des acteurs mais alors que sa charge héroïque va faire des dégâts irrémédiables, il se fait avoir par un coup de diable !
- Arg ! Mon pied !

Pris d'une soudaine douleur, par le plus grand des hasards, notre brave ami trébuche alors que son amoureuse lui échappe des bras et explose au sol en éclaboussant le reste des représentants. Couvert de vin, substance alcoolique fort odorante et tachante, Gabe est couché a plat ventre et étale de tout son long tel le tapis sauvage qui attends une proie pour lui bondir dessus et le mordre à mort. La jambe droite levée, formant un angle droit sous son genoux, lui donne un coté encore plus... débile et c'est bien noté. L'un des gardes explose sous la colère, tonitruant mille et une injure au bien heureux, simple d'esprit, tandis que l'autre ne se soucie plus de la scène mais juste à torde ses vêtements pour enlever un maximum de rosé.

Discrètement, le rustre relève la tête et fait un bref clin d'oeil à la jeune dame en guise de signe : "file vite !". Les gardes occupés, auront du mal à la poursuivre avec toute cette foule si elle a une longueur d'avance et plus d'habilité qu'eux. C'est dur de suivre quelqu'un quand on porte une armure et des armes a deux mains. De plus, alors qu'il se relève péniblement, il s'invente déjà mille et une excuse pour occuper les gardes... enfin, ouais, bon, DEUX excuses seulement ! C'est vrai que vu son QI, c'est difficile d'en trouver plus mais bon... on a tous le droit de rêver !

Adenora ne comprit pas ce qu’il venait de se passer, et ouvrit de grands yeux horrifiés lorsqu’une explosion écarlate inonda le combat. La jeune femme relâcha le bras du soldat qu’elle mordait avec véhémence. Ce n’est pas que le goût ait été plaisant, oh ça non ! Mais le fourbe l’avait immobilisé, le serrant contre sa bedaine flasque, rendant impossible tout mouvement de la part de la brune. Celle-ci n’avait donc eu aucun autre réflexe que de planter ses dents dans le membre potelé du milicien, celui qui se trouvait le plus à portée de dent. Et puis même, elle n’allait pas lui mordre autre chose ! Qu’est-ce que vous imaginiez là ?! Une gerbe rougeâtre venait comme je le disais de recouvrir le corps de la marionnettiste, qu’elle associa d’abord à du sang. Puis une odeur vint chatouiller ses narines, et elle comprit qu’il s’agissait là de vin ui était donc l’abruti qui venait de les arroser de la sorte ?

-Triple buse !

La réponse lui fut donnée par le plus grands des deux soldats, qui maudissait copieusement l’asperge étendue là sur le sol. Pendant quelques secondes, l’image d’une serpillière assaillit l’esprit confus d’Adenora. L’homme couché sur le sol à ses pieds, et qui venait accessoirement de la tirer d’une situation peu encline à manger des cacahuètes, était très grand et incroyablement fin. De plus, ses longs cheveux immaculés trempaient dans l’alcool grenat, et l’on aurait aisément pu s’en servir pour nettoyer le sol, si l’on avait pris la peine de lier ses jambes et de le traîner par les pieds.

*Hein ? Mais qu’est-ce qu’il veut ?*

La serpillère venait de lui faire un clin d’œil et souriait désormais, aussi niais que peuvent l’être une horde d’elfe lors de la fête du furet dans la sylve de Longeterre. Là-bas, des festivités ont lieu une fois tous les dix ans, et c’est un moment inoubliable où chacun danse autour du feu en battant des paupières comme un pingouin épileptique. Enfin, ce n’est pas le sujet principal. L’étranger lui faisait donc un petit signe espiègle que la brune tentait de décrypter, en ouvrant la bouche, ébahie, essayant désespérément de comprendre la raison de sa sympathie. Était-ce une technique de séduction ? Faire exploser des objets aux pieds des gens pour enfin leur lancer un petit clin d’œil ? Adenora tâcherait de s’en souvenir. Quoiqu’il en soit, elle demeurait là, impassible, tandis que les miliciens lui tournaient le dos, prêts à diriger leur courroux vers le maladroit / le séducteur (la technique de drague reste à vérifier. Peut-être sur Wikipédia, qui sait ?).

*Bon, je ne vais pas rester planter là comme une andouille. Une idée, vite, une idée…*

Un bruit attira l’attention de la jeune femme qui se retourna instinctivement. C’était le tintement typique de deux bouteilles qui s’entrechoquent. Vive comme l’éclair (bon d’accord, vive comme un smourbiff qui se serait coincé la patte dans une charrette…) la jeune femme s’en saisit et l’abattit sur le crâne de ses deux adversaires.
Long moment d’angoisse. Les deux molosses se retournèrent pour lancer un regard noir à la responsable. Heureusement pour elle, le brave manant à qui elle venait de dérober les armes d’infortune eut la mauvaise idée d’intervenir :

-Mes bouteilles !

Les miliciens se regardèrent d’un air entendu et firent craquer leurs poings, l’air féroce. Adenora s’écarta furtivement, tira son allié par le bras pour le relever et se mit à courir vers une petite ruelle qu’elle savait constamment déserte.

Il faut avouer que peu de donzelle résiste au clin d’œil ravageur de Gabe et pour preuve : Une parfaite inconnue le tire vers une sombre ruelle pour faire des choses qui le sont tout autant... Non ! Il est bien trop tôt pour faire pareille chose !

Un peu imprévu, la jeune damoiselle vient de foutre en l'air le coté esthétique de son noble sacrifice sans pour autant sentir le vice. Il se voyait déjà affronter deux gardes, entouré par une foule nombreuse pour témoigner de sa défaite, tandis que la jeune femme s’enfuyait sur un magnifique couché de soleil alors que c’est une voleuse ayant dérobé pour son propre profit et non pas sa survie ou bien celle d’autrui.
Mais n'as t-elle donc aucun cœur ? Oser saccager cette magnifique prestation théâtralement non théâtrale mais indéniablement pitoyable !? Elle aurait pu le laisser mourir mais non ! Son cœur, aussi froid que de la glace, en a décidé autrement... Et oui, je dramatise quelque chose qui est loin de l’être.
En effet, sans son aide, il aurait passé un sal quart d’heure ou bien même l’heure entière tant qu’on y est. Dans le fond, ils se sont secourus mutuellement et il faut reconnaître que ça marche bien jusqu’à ce que l’actrice décide de passer a la scène de cul... de cul !? Trempé d’alcool, on passe ensuite à la drogue et on termine l’histoire au lit ! C’est bien connu des enfants de rue.

Malgré cela, notre ami reprend ses esprits car la précipitation a réussi a semer, non seulement les gardes mais aussi, son cerveau qui peine a rattraper la suite des évènements. Alors que la course commence a trainer en longueur, Gabe retient l'effrénée pour la forcer a freiner et la force à se retourner vers lui. Son regard, bien que peu perceptible à cause de la pénombre ambiante, devient pesant tout comme le silence régnant en cet endroit. Il est presque contre elle et l’odeur forte de vin vient rendre les choses encore plus insupportable alors que sa voix grave s’élève.
- Mademoiselle ! Laisser moi vous dire... hips ! Que je vais me permettre de vomir devant vous !
Et s’exécute tout de suite après ! Pourtant, notre brave et bel héros n’a pas bu une seule goutte d’alcool, pas encore du moins. Mais cet hurluberlus tient Tellement bien l’alcool que le fait d’être aspergé de vin suffit. Par absorption cutanée, il a su chavirer du coté sombre de l’ivresse et le voici déjà mal au point.

Alors que le ragout de vomissure semble presque vivant, le mort vivant titube de gauche à droite et manque de peu les chutes à cause des débris jonchant la microscopique artère parsemée d’arrière de maison de part en part. Ses gestes brusques, ses manières rustres, font de lui un animal dur a approcher et fini par se cogner le crâne contre un mur de pierre faisant l’une des murailles de pierre de l’allée avant de s’en allez dans un tas d’ordure et rester avachi dedans comme roi sur son trône.
- Uhaaaa... quelle fuite... vous êtes dans le métier depuis longtemps ?
Lui lance t-il en se référant, sans aucune gène, a un éventuel vol car c’est monnaie courante par ici. Un témoin gênant !? Mieux vaut l’éliminer ! Surtout qu’il n’est pas armé mais... qui irait croire un énergumène pareil alors qu’il siège sur le sommet de crasse d’une sordide ruelle ? Elle peut être car sa maladresse l’a tout de même sortie d’un pétrin certain.
Son regard presque vitreux, ses hoquets trop nombreux et ses narines haletantes sont tous et toutes tournées vers elle en attendant une éventuelle réponse à sa question qui risque d’en dire long sur elle.

La jeune femme n'en pouvait plus, s'apprêtant à tout instant à cracher ses poumons qui semblaient avoir disparus tant elle haletait. Ah non, ils étaient dans ma poche en fait. Autant pour moi. Ses jambes, petites impertinentes qu'elles étaient, ne lui obéissaient plus vraiment. Adenora comptait donc interrompre leur course folle, mais c'est son partenaire qui la devança, la retournant d'un coup sec vers lui. Ebahie, l'asméenne ne pipa mot, mais ne put s'empêcher cependant d'afficher une grimace de dégoût face à l'odeur infâme de son compagnon... Prenez un quart de sueur, trois quart de ~~piquette~~ vin made in Nimmei, rajoutez à cela le manque de souffle dû à leur petit marathon et vous obtiendrez G de Gabe ! La nouvelle tendance pour homme, élu parfum de l'année par tous les anosmiques, et les trolls, accessoirement.

"-Mademoiselle ! Laissez moi vous dire que... hips ! Que je vais me permettre de vomir devant vous !

Pour le coup, la marionnettiste s'attendait à tout sauf à ça ! C'est pour cette raison que sa réaction fut si lente à éclore, et qu'elle observa avec une moue dépitée l'homme, occupé quant à lui à lui vernir les bottes, et sans lui demander quoique ce soit ! C'est ce qu'on peut appeler être serviable, et prendre des initiatives sans se faire prier ! Décidément, l'inconnu était d'un tel altruisme ! Une bonté rare et insoupçonnable... Tellement insoupçonnable qu'honnêtement, la seule envie qu'elle lui donna fut d'aller saluer le derrière de ce crétin du bout de ses chaussures. Cependant, le propriétaire du postérieur en question -qui, d'ailleurs, était plutôt agréable à observer- n'en finissait pas de vomir ses entrailles, et même le plus téméraire des combattants n'aurait osé s'approcher d'un dragon au jet de flammes si puissant.

*Il va falloir m'expliquer comment je me débrouille pour m'attirer des ennuis pareils...*

Adenora regarda l'étranger dont l'allure était désormais presque plus dérangeante qu'un groupe d'adolescentes pré-pubères se touchant sur un clip de Justin Bieber. L'abruti venait de s'affaler sur une montagne de déchets, et il était, il faut l'avouer, difficile de différencier l'homme de la masse d'ordures purulentes. La brune quant à elle toisait l'autre d'un air perplexe, tentant désespérément de trouver une solution à leur problème. Et oui, je dis "leur"parce-que quand même, ils commençaient à être intimes ces deux là... Comment ça ? Vous n'allez pas me faire croire que votre voisine vous a déjà vu défoncé, à vomir partout... Un peu de sérieux, enfin...
La meilleure option serait certainement pour la jeune femme de s'enfuir sans demander son reste, et c'est ce qu'elle fit... Jusqu'à ce que la voix traînante et rauque de son compagnon s'élève, tétanisant ses membres, et la noyant sous une vague de culpabilité.

"-Uhaaaaaa...Quelle fuite... Vous êtes dans le métier depuis longtemps ?"

Répondant sur le qui-vive, la jeune femme s'écria en baissant les yeux, tandis qu'une musique languissante s'élevait en fond sonore :

"-Je ne vois pas de quoi vous voulez parlez, Douglas !"

La musique d'ambiance s'emballa, le décor s'écroula en arrière plan de la scène, et Adenora secoua la tête latéralement pour reprendre ses esprits. Elle agissait vraiment de manière étrange en présence du voleur... Après une minute et trente-sept secondes de silence, un pigeon passa au dessus de la ville, tandis que la brune proposait à son interlocuteur, d'un ton autoritaire qui relevait plus de l'affirmation que de l'interrogation : (très subtil comme expression, ne vous y méprenez pas !)

-Bon écoute mon titi, t'as une sale tête alors on va arranger ça dans ma taverne, tout près des quais, au Nord d'ici, c'est d'accord ?

Avant même d'avoir obtenu une réponse quelconque, Adenora tira son compère par le bras pour le relever, prenant soin de boucher ses narines de l'autre main. Elle entama donc la marche, soutenant l'autre qui marchait de toutes les façons possibles et imaginables, toutes ! Sauf droit . Pour alimenter un peu la discussion -faute d'alimenter son partenaire qui avait l'air un peu secoué-, la brune s'enquit innocemment :

-Tu vis seul ? T'as pas de famille ou de maison ?

Elle se pend à son bras et on a l'image parfaite d'un couple... enfin plutôt d'un père avec sa fille alors que ce dernier est mal au point et se fait aider par sa descendance ayant un contraste idéal pour ce qui est de la plastique. Ils déambulent donc sur la route en ayant une démarche impériale, roi et reine des ivrognes, afin de regagner leur palais : la taverne.
C'est l'endroit idéal pour faire les comptes derrière le comptoir mais aussi pour se faire oublier des autorités locales sauf si bagarre il y a et c'est bien souvent le cas mais Gabe espère pouvoir avoir la paix surtout au vue de la qualité de la compagnie... quoique ça lui fait ni chaud, ni froid. Faut aussi avouer qu'à la base c'est un fêlé, si en plus il a été saoulé, ce n'est pas pour arranger les choses.

Notre ivre ami observe la ruelle et les passants les dévisageant sur leur passage alors qu'elle lui demande si il lui reste de la famille ou même un foyer. Ne sachant trop quoi répondre, sans même laissez envisager si il est a moitié sérieux ou pas le moins du monde, il répond sur le qui vive.
- Non maman.
Tout en détournant la tête faire tout comme le reste dans habitants passant dans cette rue : observer. De petit et des moches, mais pas autant que Reldin. Des grands et cons, mais pas autant que Gabe. Il semble avoir été gâté par la vie pour devenir l'idole de la ville. Le symbole fort de Nimmei qui sommeil aux fonds des tavernes et d'ailleurs, en parlant de ça, destination en vue.

Une auberge pour les plus courtois et poètes, un baraquement d'ivrogne pour les plus réalistes, un nid a ennui pour les plus défaitistes. Ce genre de bâtiment est à la fois une réjouissance ou bien un signe de mauvaise augure et notre hurluberlus hurle avant de se tenir seul sur ses deux pattes.
- Loué soit la bière !
D'un seul geste, aussi vif que l'éclair, le rustre se dégage de l'étreinte amoureuse de la jeune femme et fonce sur les portes de l'établissement avant de disparaître à l'intérieur. Ce dernier, comme pris d'un souffle de vie nouveau, se retrouve derrière le comptoir, coté client, et tapote sur le comptoir pour appeler un éventuel serveur. Il semble que le vin n'a su venir à bout de notre aspirant aventurier !... pas encore !

Adenora ne cessait de ruminer la remarque de son aîné : "maman", l'avait-il appelé ? Mais, pourquoi diable avait-il proféré pareil blasphème ? L'homme devait certainement salir les rues depuis dix années de plus qu'elle, et leur physique ne laissait subsister aucun doute : elle était plus jeune que l'autre soulard, un point c'est tout. Ooh, c'est pas croyable ces vieux qui complexent et font passer les autres pour plus vieux qu'eux... Incorrigible...

*Mais qu'est-ce-qu'il fait encore celui-là ?*

L'enthousiasme débordant de son compagnon laissait l'asméeenne quelque peu dubitative... Était-il stupide au point de ne pas comprendre qu'elle était la propriétaire ? Le bougre patientait, presque offusqué que personne n'apparaisse de derrière le comptoir, alors que la brune venait d'ouvrir la gargote avec ses clés. A moins qu'une quelconque serveuse soit disponible jour et nuit, inépuisable, prête à venir à la rescousse de tous les ivrognes qui passaient par là, il était impossible que quelqu'un soit resté enfermé à l'intérieur de l'auberge en l'absence de la maîtresse des lieux. Quoiqu'il en soit, il fallait remettre les idées en place à ce bonhomme qui risquait d'attirer des ennuis à la marionnettiste.

En effet, aux yeux de la brune, les énergumènes de son espèce étaient prêts à tout pour gagner un peu d'argent, y compris à dénoncer leurs congénères. En l'occurrence, l'inconnu avait bien eu le temps de mémoriser son visage, et connaissait même son lieu de résidence. Elle devait donc s'assurer, d'une manière ou d'une autre, que l'homme ne parlerait pas... Lui arracher la langue aurait été bien cruel, et l'abruti certainement capable de communiquer, même sans ça... Avec un grand soupir de désespoir, la jeune femme s'avança vers l'autre qui n'en finissait pas de remuer son postérieur, outré de l'attente interminable.

-Ecoute...euh... Johnny... Ah tu t'appelles pas Johnny ? Bon, ben c'est pas grave. Ecoute truc, tu vas pouvoir attendre longtemps, d'ailleurs je sais pas vraiment ce que t'attends, mais c'est moi qui sert ici, pas la peine de chercher. Par contre j'suis pas la reine d'Esea, et faut pas croire que je vais te servir n'importe quoi gratuitement, y'a pas marqué pigeon sur mon front !

Adenora posa une main sur l'épaule de son interlocuteur, et, alors que personne ne s'y attendait, le plaqua contre le comptoir. Se penchant contre son dos, la brune lui glissa à l'oreille, avec une voix languissante :

-Mais maintenant... Tu vas te laver. Tu sens mauvais, pour rester polie.

L'asméeenne se mit à rire un grand coup, contente de sa petite blague, et s'éloigna en direction de l'escalier qui montait à l'étage supérieur (logique pour un escalier, je sais), dans lequel se trouvaient les chambres, et donc de quoi nettoyer l'homme. Elle lui sourit et grimpa les marches, espérant qu'il la suivrait quand même, sans quoi tout son effet de style serait brisé. Boarf, ça arrive à tout le monde après tout...

Lorsqu'elle le plaqua contre le comptoir, non pas qu'il va se réjouir de se voir réaliser un fantasme, notre jeune ami eu une poussée d'adrénaline mais c'est son cerveau qui fut lent à la détente et l'empêcha de réagir trop violemment et hâtivement. Les mots qu'elle lui glissa à l'oreille, bien que calmant son sang bouillonnant, fit bouillonner son cerveau car... ben... comment le dire sans vous effrayer... et bien il sait pas ce que veut dire "laver" ou du moins "se laver". Les rares "bains" qu'il eut dans sa vie furent les balades dans les rues sous des jours de drache, les trébuchades sur les quais pour tomber à la mer et les seaux d'eau reçu sur la tête lorsqu'il se faisait mettre dehors de la taverne car était saoul. Rappelons rapidement qu'il l'est déjà a moitié rien que par absorption cutanée de vin aspergé lorsque de l'incident avec les gardes et les tonneaux.

C'est donc avec un air inquiet et curieux qu'il regarde la damoiselle monter l'escalier, se demandant ce qu'elle peut bien entendre par se laver. Il réfléchi, oui oui, brièvement et primitivement, forcément, et se dit qu'elle n'a pas arrêté de le sentir. Peut-être que, je dis bien peut être, que son odeur importune la demoiselle. Oui ! Et qu'elle a un moyen de changer tout cela !
Non, c'est définitivement pas ça selon Gab qui, intelligent comme il est, se dit plutôt qu'elle a un faible pour lui à cause de son odeur. Le parfum d'un beau mâle même pas en rûte qui semble avoir été cloisonné dans une petite hutte depuis des années... tellement unique et spécial qu'on ne saurait le décrire, chanceux ! Au moins, votre nez ne va pas se mettre à vous chatouillez au point de démanger pour vous le faire enlever.

Reldin s'accoude au comptoir, pose sa main sous son menton et replonge dans sa réflexion. Elle ne monte surement pas pour préparer le lit pour une nuit torride, non, impossible, il fait encore trop jour pour que ce soit ça.
Finalement, concédant que ce n'est pas pour lui les facultés de l'esprit, il se lève et suit Ade tout en se vidant la tête comme on le ferait avec une choppe de bière. Néanmoins, son corps se rappel la vive interaction qu'il y eu entre eux avec le comptoir et ses muscles se tendent comme pour prévenir un éventuel drame, enchaîner une rapide réaction si elle tente encore une action trop "entreprenante". Quelque chose à changé dans son regard... non, pas une pointe de sérieux qui lui donne un coté cool mais un soupçon fort profond de vide, devenu tel automate qui suit sans réfléchir et pourtant pas sans réagir à l'instinct en cas de pépin.

Alors que l'asméenne gravissait les marches qu'elle avait déjà monté des centaines de fois, elle ne put s'empêcher de sourire en entendant à sa suite les pas de l'homme, légers comme un troupeau de décapodes géants. Alors que l'invité traînait son corps de loque jusqu'en haut de l'escalier, et qu'il semblait à la brune qu'il allait se briser en deux à chaque mouvement, la jeune femme se glissa dans la première porte, et se cacha derrière celle-ci. Au moment où l'homme passa devant elle, la marionnettiste l'attira par le cou et le plongea dans le bassin, situé au fond de la chambre.
Saisissant ensuite un seau d'eau froide, Adenora le versa sans pitié sur le visage de son compagnon, et s'éloigna pour attraper une brosse.

-Ben tire pas cette tête, tu vas pas me dire que tu sais pas ce que c'est que de se laver... Enfin !

La brune inspira un grand coup, prenant le temps de ressentir le flux de magie qui parcourait son corps, et se concentra sur la brosse. Vous imaginez bien que pour une entreprise comme celle que s'apprêtait à faire Adenora, il fallait beaucoup de préparation et de professionnalisme. La jeune femme donna vie à la brosse, et celle-ci se mit d'elle-même à frotter toute la crasse qui s'était accumulée sur son invité, et qui formait comme une seconde peau pour l'homme des rues. Et oui, laver Gabe n'est pas une tâche facile, et la brune ne relâcha pas son attention, prête à prendre la relève à la main au cas où son plan échouait.

-Ah ben voilà, il va être tout propre maintenant !

Comme si les esprits eux-mêmes avaient décidé qu'un énergumène tel que Gabe ne méritait pas d'être nettoyé, la jeune femme s'embrouilla dans son sort. Un tourbillon d'énergie s'éleva dans la pièce, causant avec lui un brouhaha d'objets brisés et d'autres bruits non identifiables. Une brume épaisse vint aussi emplir l'air.
Adenora toussota, surprise par ce qui venait de se produire dans la petite chambre de son auberge. Après avoir secoué ses mains dans tous les sens, telle une folle à lier voulant câliner Benny, son copain imaginaire, la jeune femme réalisa que l'autre avait disparu. Inquiète, la brune vérifia dans la chambre voisine... rien. En bas.. rien.

-Je ne savais pas que je pouvais faire ça...

HRP:

L'eau avait d'abord un gout savonneux même si il n'a jamais goutté de chose pareille avant, c'est une grande première pour lui. Mais maintenant, alors que le cirque a joué devant ses yeux ébahis, elle a un gout de... vin ? Sortant la tête tel un sous-marin entrain de submerger, ses yeux passe d'un univers rougeâtre a un ciel gris azuré. Il a terminé sa course dans un tonneau d'alcool, de la même sorte que ceux qu'il a trimballé y a pas si longtemps avec les gardes et la voleuse.
- Cette gamine... mais qu'est ce qu'elle...

Mais ne préférant ne plus trop y réfléchir, il s'extirpe du tonneau se trouvant au milieu de nulle part, dans l'un des coins reculés de Nimmei. Il reconnait les lieux, quasi désert, et ne prend même pas la peine de se détremper du nectar couleur framboise pendant que ses vêtements s'entache de l'indélébile. Ben oui, vous croyez quand même pas qu'il allait se laisser déshabiller par une gazelle !?
Quoiqu'il en soit, ce petit tour n'était pas des plus désagréables mais préfère autant éviter de réitérer pareille absurdité. Il soulève le tonneau dans lequel il a atterri, se tourne en direction des quais, et reprend la course avec laquelle il a commencé comme si rien ne s'était passé. Peu à peu, les souvenirs fous qu'il vient de se faire prennent place sur les vieilles étagères de sa matière grise et se couvrent déjà de poussière tandis qu'il soupir.
Après tout, pour lui, c'est la routine mais notre ami a retenu une leçon de vie de son expérience. Il faut croire que, finalement, il a sorti le lot gagnant et va enfin devenir quelqu'un de bien !
- La prochaine fois... je laisse les gardes choper le voleur !

Et bien... étonnement censé et peut-être même lâche si l'on en crois le code des brigands des ruelles de la ville portuaire... si tant bien est qu'il y en aie un ! Peu lui importe de toute façon, il se dirige vers son lieu de départ pour vivre la grande aventure.